Dans le conflit libanais, Israël est le samouraï, prêt avec la violence la plus rapide possible à faire table rase des Hezbollah afin que les grandes puissances et les états arabes alliés négocient le statu quo au moyen orient. Israël comme samouraï : comment est-il arrivé à investir ce rôle ?
Foreign Policy vient tout juste de publier The Israël Lobby and Us Foreign Policy, de John Mearsheimer et Stephen Walt, un essai qui avait déjà été publié on line en s’attirant de furieuses et nombreuses réactions. Qu’ont donc écrit de si scandaleux les deux représentants du « réalisme politique » ?
Ils analysent comment le lobby israélien influence la politique étrangère des Etats-Unis dans une voie contraire aux intérêts du pays, en conduisant à des choix comme l’Irak et maintenant Beyrouth. Les deux auteurs font une différence entre les juifs américains et l’élite qui dirige le lobby et soutient le gouvernement israélien. Ils rapportent des sondages qui montrent comment la majorité des juifs américains est disposée à faire des concessions aux palestiniens, et s’oppose à la guerre en Irak plus que les autres américains. Rien de stupéfiant, puisque les juifs américains ont eu jusqu’ici une orientation progressiste, et sont, par tradition, les financeurs majoritaires du parti démocrate.
Par ailleurs les juifs américains subissent depuis longtemps une marginalisation de la part de l’establishment blanc protestant républicain, un antisémitisme diffus au niveau populaire, et l’ostracisme de la classe moyenne. Pour beaucoup la solution avait été d’américaniser leur nom, de se camoufler. Aujourd’hui, tout a changé et il semblerait que ce soit grâce à l’American-Israel Public Affair Commettee, le fameux Aipac analysé par Mearshemeir et Walt. Le lobby est au deuxième rang en terme d’influence après celui des retraités, et sa mission est de défendre Israël en poussant l’Amérique à s’imposer sur la scène internationale : plus les Etats-Unis seront craints et plus Israël sera sûr. Le lobby est soutenu par des chrétiens évangélistes et par des néos-conservateurs non juifs, comme Dick Cheney. L’influence du lobby vient de sa capacité à « contrôler » le Congrès, comme montrent ses requêtes, toujours approuvées par les membres convaincus. Conviction qui peut être spontanée, ou achetée quand il s’agit de politiciens élus avec le soutien financier d’associations et fondations pro-israéliennes.
La politique moyen-orientale des Etats-Unis est confiée à des spécialistes membres de l’Aipac (et d’autres lobbys minoritaires) qui rédigent des notes, discours et interventions pour les législateurs et pour l’exécutif, avec l’appui de think tank, quelle que soit leur couleur politique : en cela il n’y a quasiment pas de différence entre les libéraux de Brookings Institution et le néo-cons de l’Americans Enterprise Institute. Comme il en est pour les médias qui présentent comme des dogmes les causes du gouvernement israélien ; bien rares sont les voix discordantes. Et quand certains événements israélo-palestiniens, et aujourd’hui libanais, ne peuvent pas être occultés, c’est le lobby qui en fournit une version acceptable.
Le lobby a quelque difficultés dans le milieu universitaire, où prévaut encore l’approche favorable à la négociation dans le conflit israélo-palestinien et à la perspective des « deux peuples - deux états ». Le lobby s’est pourtant activé pour financer des chaires et des programmes sur le Moyen-Orient. Est arrivée ensuite l’initiative de Daniel Pipes, le spécialiste néo-cons de la Maison-Blanche, qui a ouvert le site Internet Campus Watch, où les étudiants sont invités à dénoncer les professeurs hostiles à Israël. Le site est critiqué comme « maccartiste » mais, en attendant, il n’est plus tabou de mettre à l’index on line les intellectuels critiques, juifs et non juifs. La guerre globale à la terreur a donné au lobby sa meilleure opportunité de légitimation. Pendant les 5 dernières années, ses cent mille membres ont de fait augmenté de 60%. Le 5 mars de cette année, cinq mille personnes ont participé à la Conférence annuelle du lobby, discutant pendant trois jours de politique étrangère dans une identification quasi-totale entre Amérique et Israël. Etaient présents : la majorité des sénateurs, un tiers du Congrès, cinquante ambassadeurs et de nombreux fonctionnaires du plus haut niveau. Dans son discours de clôture le vice-président Cheney a rappelé que les Etats-Unis ne permettront jamais à l’Iran d’avoir l’arme nucléaire.
Les deux auteurs de l’essai se demandent quand et pourquoi s’est réalisé cet entrelacement entre gouvernements israélien et étasunien, dont les intérêts nationaux sont tout autres que convergents. La réponse se trouve dans la fameuse « guerre des six jours » de 1967, quand les politiques américains découvrirent Israël comme leur propre pion sur la scène moyen-orientale, à l’époque en métayage avec l’Union Soviétique. La fracassante affirmation de l’armée israélienne accomplit le miracle de transformer en soutien convaincu l’approche jusque là équidistante entre les arabes, riches de leur pétrole, et les israéliens, riches seulement de leurs liens avec les juifs de chez eux. De Nixon antisémite déclaré, à Clinton ami fervent, à Bush, véritable sponsor, trente années ont passé, et Israël a désormais la place d’honneur à la Maison Blanche. Le pays reçoit 3 milliards de dollars d’assistance directe comme s’il était un pays africain pauvre, et on ne sait pas combien encore pour l’achat de matériel de guerre sophistiqué. En outre, il jouit d’un accès aux sources d’espionnage qui est refusé aux alliés de l’Otan, et peut compter sur le veto des Usa pour toutes résolutions de l’Onu hostiles à Israël. De son côté, en plus, Israël vend des armes à des puissances rivales des Etats-Unis sans mesures de rétorsion, jouissant d’une impunité sans précédents gagnée avec ses triomphes militaires.
Le moment magique justement a été la « guerre des 6 jours », qui a été, pour les juifs en Israël et hors d’Israël la rançon de 2000 années de ghettos et de persécutions jusqu’à l’extermination des juifs d’Europe. La rançon a été guerrière : depuis lors une violence d’état ininterrompue a, de fait, marqué la vie du pays. Prise entre l’usage de la force et les armes de la politique, l’élite israélienne s’est montrée comme un état jeune, anxieux de se faire accepter sur la scène internationale. Comme la Prusse de Frédéric le Grand. Sa valeur militaire a envoûté les Etats-Unis et a déconcerté le reste du monde. L’Europe avant tout, à cause de ses responsabilités envers ses propres juifs qui ont fui vers la terre de Palestine. D’utopistes, artistes, marchands, tailleurs et médecins, elle les a vus se transformer en guerriers impitoyables, et s’est découverte incapable d’influencer les guerriers pour qu’ils mûrissent en hommes politiques. L’incapacité de l’Europe d’induire en Israël des stratégies politiques plutôt que militaires, s’est exacerbée avec l’identification entre l’Amérique de Bush et Israël. Dans leur essai, Walt et Mearsheimer attribuent à la puissance de l’Aipac la plus grande responsabilité dans le conflit palestinien et la guerre en Irak, qui a ouvert la boîte de Pandore du fondamentalisme islamique. Et, par conséquent, ils demandent aux « alliés européens de l’Amérique » d’aider les enfants et petits-enfants des juifs européens à retrouver la voie de la sagesse politique.
Rita Di Leo
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Source : il manifesto www.ilmanifesto.it