La première victoire des islamophobes contre Tariq Ramadan

L’internationale islamophobe essaye encore de frapper. Le département de la Sécurité Intérieure des Etats-Unis d’Amérique a révoqué le visa qu’il avait déjà délivré à M. Tariq Ramadan. Un geste de méfiance plutôt inhabituel à l’endroit d’un universitaire reconnu, un invité d’une célèbre université américaine. En proposant un poste de Professeur d’Etudes islamiques à M. Ramadan, l’Université Notre Dame (Indiana) envisageait aussi de lui confier son programme de « Religion, Conflit et Promotion de la paix ». Un projet qui donne des insomnies à M. Daniel Pipes, le nouveau chef de file de l’islamophobie américaine.

Une tonne de reproches « made in U. S. A. »

C’est le 5 mai dernier que les services administratifs américains (Département de la justice, Département de la Sécurité Intérieure) ont remis un visa de type H1 à la famille Ramadan. La procédure avait été lancée trois mois plus tôt par l’Université Notre Dame. C’est avec ce document en mains, lui donnant le droit de séjourner et de travailler aux Etats-Unis, que M. Ramadan et sa famille se mobilisèrent pour l’aventure américaine.

Plusieurs mois auparavant, M Ramadan était sous les tirs nourris des mouvements sionistes français. Ceux-là faisaient feu de tout bois pour le réduire au silence. A défaut de pouvoir le confondre sur le terrain universitaire où il les a toujours défiés, ils entraînèrent Tariq Ramadan sur le terrain politique pour lui coller l’étiquette d’antisémite. Or l’étiquette d’antisémitisme ne fait plus recette en France. A force d’en user pour faire taire tous ceux qui osent critiquer la politique M. Ariel Sharon, le mouvement sioniste français a fini par user l’argument. Les esprits non avertis qui ont pu se laisser avoir, savent désormais que Tariq Ramadan n’est pas antisémite même s’il critique la politique de M. Sharon sans concession.

Mais peut-être M. Ramadan est-il terroriste ? S’interroge certains confrères français abondamment repris par des journaux américains. Comme il n’y a pas de fumée sans feu, la graine du doute est ainsi semée. Elle commence à germer dans les esprits les moins avertis. L’on raconte ainsi qu’autrefois, il y a peut-être quelques années, un jeune homme a suivi une conférence donnée par M Ramadan. Puis ce jeune homme est aujourd’hui accusé de terrorisme. L’on raconte aussi que Hassan Turabi, le leader politique soudanais a pronostiqué que M. Ramadan est « l’avenir de l’Islam » (le commandant Massoud, résistant afghan soutenu par les Etats-Unis, avait fait le même pronostic).

Puis l’on nous rappelle qu’il y a bientôt huit ans, M. Ramadan avait été interdit de séjour en France. Et si ces évidences ne suffisent pas à éveiller notre méfiance envers M. Ramadan, il est bon de savoir qu’un journaliste français aurait semble-t-il probablement laissé entendre l’éventualité de la possibilité que M. Oussama Ben Laden et M. Tariq Ramadan soient de vieux amis d’enfance ! !

Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres encore, certains citoyens du pays le plus puissant du monde ont peur de Tariq Ramadan. Mais la vérité est parfois plus simple.

Tariq Ramadan est un cauchemar pour Daniel Pipes

Le chapelet des accusations fantaisistes à l’encontre de M. Ramadan était déjà égrené par médias lorsque les dirigeants de l’Université Notre Dame l’ont choisi, parmi d’autres spécialistes, pour participer à la formation de leurs étudiants. « Le professeur Ramadan est un remarquable universitaire et une voie de modération dans le Monde musulman », disent-ils dans les colonnes du Chicago Tribune. Ce lot de chimères est certainement connu des agents du Département de la Sécurité Intérieure qui ne manquent pas de sources d’information. Ils ont pourtant accordé un visa H1 à M. Ramadan le 5 mai 2004. Que s’est-il passé entre le 5 mai 2004 et le 2 août 2004 pour que les spécialistes américains de la Sécurité Intérieure ajournent leur décision première, quelques jours à peine, avant l’entrée de M. Ramadan sur le territoire américain ?

De l’avis de M. Graham Fuller, ancien membre de la direction la CIA et expert des questions politiques de l’Islam, « l’essence du problème est que les organisations pro-Likud veulent barrer la voie à toute personne capable de s’exprimer de manière cohérente sur la question musulmane en des termes compréhensibles et convenables aux américains ». En termes moins codés, il faut comprendre qu’aux Etats-Unis, comme en France, les membres et les sympathisants du Likud (au pouvoir en Israël), ont des méthodes d’actions semblables. Pour les uns comme pour les autres : est antisémite tout individu qui critique le gouvernement israélien. Pour les uns comme pour les autres, le Musulman est l’ennemi naturel du Juif et vice versa. Pour les uns comme pour les autres, la lutte contre l’antisémitisme passe par une culture viscérale de la peur de l’Islam. Selon l’association CAIR (Counsil on American-Islamic Relations), à la pointe de la défense des droits des citoyens américains de confession musulmane, l’universitaire militant M. Daniel Pipes est « le chef de file de l’islamophobie nationale » américaine. Considéré comme un « expert de la haine», le médiatique Daniel Pipes doit faire des cauchemars à l’idée de devoir prochainement affronter Tariq Ramadan dans le ring universitaire américain.

Un militant politique faussement universitaire

Brillant universitaire diplômé de l’université de Harvard, Daniel Pipes est doté d’une capacité de travail et d’un courage politique exceptionnels. Il est un spécialiste reconnu de l’Islam médiéval. On dénombre une douzaine d’ouvrages à son actif et un nombre considérable d’articles publiés.

Lorsqu’il publie Slave Soldiers and Islam en 1981, personne ne se doute de sa vision catastrophique de l’Islam. Mais avec In the Path of God, publié en 1983, il laisse transparaître ses angoisses sur la montée de certaines tendances radicales de l’Islam qu’il a analysé dans certains pays musulmans. Son engagement politique, ouvertement pro-israélien, et la légèreté de ses méthodes de travail scientifique gênent néanmoins le monde scientifique. Ce qui peut expliquer la modestie du nombre de ses écrits que l’on peut valablement qualifier de scientifiques.

Au-delà de la vision guerrière qu’ils véhiculent de l’Islam, les écrits de M. Pipes sont caractérisés par un style mi-journalistique, mi-scientifique. L’accumulation des détails, souvent insignifiants pour un lecteur de journal, fait penser à certains travaux de recherche. Mais les affirmations péremptoires et la légèreté des sources de l’auteur créent le doute chez le lecteur attentif. Ce cocktail laisse un arrière goût de tentative d’escroquerie intellectuelle.

Le Centre d’Etudes et de Documentation Economiques, Juridiques et sociales (Cedej), prestigieux centre de recherche français situé au Caire (sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, en collaboration avec le Cnrs) tire le portrait à Daniel Pipes dans le N° 6/2003 de sa revue scientifique. L’article s’intitule portrait d’un « nouveau réactionnaire » américain. C’est à la chercheuse Anne-Claire Kerboeuf qu’il revient de commenter le livre « The Hidden Hand, Middle East Fears of Conspiracy », écrit par Daniel Pipes. Mme Kerboeuf montre que « Du premier chapitre jusqu’à la conclusion, le lecteur se noie dans une masse d’exemples qui se diluent dans leur nombre et perdent ainsi toute valeur illustrative. » Puis d’ajouter que « la partialité de l’auteur, camouflée sous les centaines d’exemples que le lecteur même téméraire n’a pas toujours les moyens ni le temps d’aller vérifier, perce régulièrement dans des propos criants de désinformation et de subjectivité…» Puis la chercheuse de mentionner un « autre révélateur de grosses lacunes méthodologiques : les sources. Elles sont uniquement de seconde main (l’auteur affectionne beaucoup la presse et les romans) voire de troisième main (Pipes adore citer les citations des auteurs de sa bibliographie). Aucun entretien avec des personnalités politiques ou des gens du commun n’a été effectué, ce qui peut paraître assez lacunaire pour un travail concernant les sociétés du Moyen Orient ».

En dehors de son premier livre, Slave Soldiers and Islam, très documenté et fondé sur des sources fiables, l’analyse de Mme Kerboeuf résume bien les écrits de M. Pipes. Mais, à force de persistances sur le champ politique et certainement appuyé de quelques coups de pouce familiaux (le père Pipes était membre de l’Administration G. Bush, le père ), Daniel Pipes est aujourd’hui un haut cadre de l’administration de G. Bush, le fils.

La consécration prophétique du 11 septembre 2001

L’an dernier, la nomination de Daniel Pipes à l’Institut des Etats-Unis pour la Paix (USIP- US Institut of peace) a soulevé un tollé général dans les rangs des Musulmans américains. Car l’Usip est une organisation pacifiste financée par des fonds fédéraux avec pour objectif d’encourager la « résolution pacifique des conflits internationaux ». Or selon M. Pipes « ce que la guerre a fait pour Israël, la diplomatie n’a pu le faire. » N’y voyez pas un brin de cynisme. M. Pipes est sincère. Car il condamne l’idée même de création d’un Etat palestinien. Il estime qu’un tel Etat « fera plus de torts aux Arabes qu’aux Israéliens. »

Déjà le jeune Daniel Pipes, alors qu’il était encore étudiant, s’était fait remarquer sur son campus lors de manifestations de soutien à la guerre du Vietnam. Mais c’est vers la fin des années 80 qu’il commence ouvertement à développer ses idées martiales directement orientées contre les Musulmans. Il n’aura cependant jamais autant d’audience qu’au lendemain du 11 septembre 2001.

Au contraire de la majorité des chercheurs sur le Moyen Orient, Daniel Pipes n’avait cessé de souligner les dangers de la présence musulmane en Europe et en Amérique. « Les musulmans arrivent ! Les musulmans arrivent ! » titre-t-il en 1990. C’est donc en toute logique qu’après le 11 septembre, il apparaît à l’Amérique endeuillée comme un visionnaire providentiel qui avait tout prévu. A propos des Musulmans, n’avait-il pas écrit en 1995, cinq ans avant le 11/09, qu’« une guerre a été déclarée de manière unilatérale contre l’Europe et les Etats-Unis, à l’insu de la majorité des

Occidentaux » ? Aucun plateau de télé ne résiste donc à ses analyses. Le Boston Globe

le propulse au rang de prophète : « si les avertissements de Pipes avaient été entendus, nous n’aurions peut-être jamais vécu les événements du 11 septembre » écrit le journal. Les Guerres du Golfe contribuent à corroborer les thèses de M. Pipes. Aux Etats-Unis d’Amérique, un pays où la privatisation a gagné l’armée depuis très longtemps, un pays où l’on compte plus d’armes personnelles que d’êtres humains, la défense d’une initiative de guerre est un pain politiquement béni.

Quand le sionisme accouche d’un maccartisme nouveau

En 1994, Daniel Pipes fonde le Forum du Moyen-Orient (Middle East Forum –MEF ). Cette association travaille à la promotion des intérêts américains par les méthodes classiques de propagande : lobbing, financement de recherches, information publique, intox.

Surfant sur le climat post 11 septembre, le MEF lance Campus Watch. Cette officine, comme son nom l’indique, se veut un observatoire des campus universitaires. Mais en réalité, Campus Watch n’est rien de plus qu’une tour de contrôle plantée en milieu universitaire avec l’objectif de ficher les enseignants qui, comme Tariq Ramadan, soutiennent des thèses contraires aux intérêts politiques du Likud en Israël.

M. Pipes se sert de Campus Watch pour dresser une liste « des professeurs accusés d’être des extrémistes et des antisémites pour leurs propositions pro-palestinienne ». Il explique que dans le contexte américain actuel, une telle mise au clair est devenue nécessaire parce que « durant trois décennies, les extrémistes de la gauche ont dominé le milieu académique américain, vomissant des drôles de théories apparemment inoffensives sur « la déconstruction », « le poste modernisme », « les races, genre et classe », mais en vérité attaquant les Etats-Unis, leur gouvernement et leurs alliés. » Pour parvenir à ce résultat, il incite les Américains à dénoncer tout étudiant et tout professeur, dans le milieu des Etudes sur le Moyen-Orient, dont les opinions seraient jugées « intolérantes ». Il s’agit donc d’assainir les universités américaines afin d’en faire des « institutions au discours civilisé » selon les critères de Pipes.

Si ce maccartisme d’un type nouveau séduit les milieux sionistes, il suscite un sentiment d’exaspération chez de nombreux universitaires américains. Ils y voient une action de terrorisme intellectuel désireuse de confisquer la liberté d’expression intellectuelle qui fonde leur métier. Lorsque Campus Watch publia sa première liste de « professeurs douteux », une centaine d’autres profs qui n’y figuraient pas, contactèrent l’association et demandèrent à y figurer ! M. Pipes les qualifiera « d’anti-américains », «d’apologistes des attentats islamistes » et de bien d’autres noms d’oiseaux.

Un point pour Pipes, zéro pour Tariq

Le professeur Rashid Khalidi est l’un des spécialistes mondialement reconnus pour ses travaux sur le Moyen Orient. En poste à la Colombia University, il figure en bonne place parmi les cibles de Campus Watch. Il explique que « Toute personne qui prend en compte la complexité de la situation en introduisant les vrais points de vue de personnes réelles que les Américains pourraient trouver raisonnables, leur paraît comme une menace.» C’est pourquoi l’idée de devoir confronter un chercheur musulman comme Tariq Ramadan, reconnu comme l’un des plus grands penseurs contemporains, donne des boutons à M. Pipes et aux siens.

Il n’y a de doute que le Département de Sécurité Intérieure reviendra une seconde fois sur sa décision et que les étudiants de Notre Dame University auront l’occasion de suivre les cours de M. Ramadan. La question est de savoir si le Département prendra sa décision avant ou après la fin de la campagne électorale en cours aux Etats-Unis

Madame Micheline Calmy-Rey, Conseillère générale, Ministre suisse des affaires étrangères a adressé une demande d’explications aux autorités américaines. Car le refus de visa, non motivé par l’administration américaine, jette un léger froid dans la tradition d’échanges pédagogiques entre universités américaines et universités suisses.

D’avance, M. Ramadan est invité par Bill Clinton, ancien président américain, pour le 27 septembre prochain. Au mois de novembre, il espère pouvoir répondre à l’invitation de William S. Cohen, ancien sénateur et ancien Secrétaire à la Défense. Il compte bien aussi honorer l’invitation de l’université de Stanford (12-14 septembre) à l’instigation de la France-Stanford Center for Interdisciplinary Studies. Pour l’heure, sa participation à la conférence l’ISNA, (Islamic Society of North America), prévue du 3 au 6 septembre est largement compromise (40 000 personnes sont attendues à cette rencontre). Ce qui est une nette victoire pour le camp dirigé par M. Pipes qui marque ainsi un point ; zéro pour M. Ramadan. Mais le match continue. Les prochaines manches seront âprement disputées.

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