Un trio d’intellectuels américains conduit la charge contre toute pensée critique relative à l’islam et au Proche-Orient, en particulier sur les campus. Exploitant les craintes légitimes nées des attentats du 11 septembre 2001, les écrits et les discours de Martin Kramer, Daniel Pipes et Steven Emerson cherchent à imposer une orthodoxie islamophobe et antiarabe.
Peu après le 11 septembre, M. Kramer, ancien directeur du Centre Dayan pour les études sur le Proche-Orient de l’université de Tel-Aviv, a publié un texte incendiaire condamnant l’ensemble des universitaires spécialistes du Proche-Orient (1). L’auteur y proclame que des « mandarins » de la Middle East Studies Association of North America, inspirés par les analyses du livre d’Edward Said Orientalism, auraient imposé un « politiquement correct » et se seraient montrés incapables d’avertir le public américain des dangers de l’islamisme. La faillite du FBI et de la CIA le 11 septembre ne fait pas l’objet des mêmes reproches...
M. Kramer est également responsable du Middle East Quarterly, publication du Middle East Forum, un think tank dirigé par Daniel Pipes. Ce dernier est coutumier des propos antiarabes (2). En 1990, il écrivait déjà : « Les sociétés d’Europe occidentale ne sont pas prêtes à l’immigration massive de peuples à la peau sombre qui cuisinent des mets étranges et ont des règles d’hygiène différentes (...). Mais les coutumes musulmanes sont les plus préoccupantes (3). »
Campus Watch représente un des projets les plus récents du Middle East Forum. Il s’agit d’un site Internet chargé de « surveiller et d’informer sur les professeurs qui alimentent les flammes de la désinformation, de l’incitation et de l’ignorance ». D’après Campus Watch, les universitaires américains spécialistes du Proche-Orient « ont souvent l’air de ne pas aimer leur pays et d’apprécier encore moins les alliés étrangers des Etats-Unis ». L’explication ne tarde pas : ce domaine d’étude serait « la chasse gardée d’Arabes du Proche-Orient qui ont apporté leur idéologie avec eux ». Récemment, M. Pipes a été nommé par le président Bush membre du conseil d’administration du United States Institute for Peace, une fondation financée par le Congrès aux fins de « promouvoir la prévention, la gestion et la résolution pacifique des conflits internationaux ».
M. Steven Emerson est journaliste et réalisateur. Depuis son documentaire de 1994, Jihad in America, il ne cesse de proclamer que les Etats-Unis servent de base à des milliers de terroristes musulmans. Son dernier ouvrage, Les Terroristes qui vivent parmi nous, reprend ce filon. Les attentats du 11 septembre ont apparemment conforté la thèse de M. Emerson. Mais il lui est également arrivé de divaguer. Il avait ainsi imputé à l’islamisme l’attentat contre un bâtiment fédéral à Oklahoma City en 1995 (4) et le crash d’un vol TWA en 1996. A tort dans les deux cas.
Notes
(1) Martin Kramer, Ivory Towers on Sand : The Failure of Middle Eastern Studies in America, Washington Institute for Near East Policy, octobre 2001.
(2) Lire Dominique Vidal, « Croisés, de père en fils », Le Monde diplomatique, mars 2003.
(3) National Review, Washington, 19 novembre 1990.
(4) Cf. Serge Halimi, « Expert en terrorisme », Le Monde diplomatique, juillet 1995.